Compte-rendu de l’atelier “Responsabilités des scientifiques dans un système en crise” (Tunis, 24 mars 2013)

Ce “compte-rendu” a été proposé par Pierre Calame. Qu’il en soit remercié.

L’atelier a montré différentes dimensions individuelles et collectives de l’action de scientifiques soucieux d’assumer leur responsabilité. Essayons un panorama d’ensemble.

On parle parfois de co-responsabilité. La situation actuelle est de co-irresponsabilité. Illsutration : la procédure européenne d’autorisation de mise sur le marché d’OGM. L’irresponsabilité se construit en quatre temps : a) selon les règles européennes, l’entreprise est responsable de l’impact de ses produits, sauf si l’état de la connaissance ne permettait pas de prévoir un impact négatif ; b) les entreprises et les états s’arrangent pour que la connaissance nécessaire (tests sur longue durée) ne soient pas produite ; c) les comités d’experts émettent un avis et à ce titre ne peuvent pas en être tenus pour pénalement responsables ; d) les politiques se disant incompétents se retranchent derrière l’avis des experts. Voilà le type de cercle vicieux qu’il faut briser.

Une mise en perspective historique :
– la seconde guerre mondiale, la fin de l’innocence. L’ampleur des moyens nécessaires à la conduite de recherches exclut la « recherche pure » indépendamment de ses effets économiques, politiques et sociaux. Le nazisme a montré que la science et la technique peuvent être mises au service du mal absolu et le lien « automatique » entre progrès scientifique et progrès humain est définitivement rompu. L’exemple de la bombe atomique montre que la connaissance produite est mise en oeuvre sans le contrôle de ses producteurs, d’où la règle : nul n’est censé ignorer les rapports de force ;
– de 1945 à 1990 ,: un contrat social entre science et société : a) la société apporte des moyens aux chercheurs, pour développer des connaissances fondamentales ; b) ces connaissances débouchent sur des applications techniques qui débouchent sur des nouveaux produits qui créent de l’emploi, qui assurent la cohésion sociale ;
– depuis les années 90 : des doutes sur ce cercle vertueux, a fortiori avec les problèmes écologiques. C’est le cercle vicieux de la fuite en avant dans l’innovation, la concurrence entre nations, la privatisation de la connaissance, les menaces de nos modes de production et de consommation sur la planète. Conclusion : la méfiance s’installe entre la société et les chercheurs. Il faut construire un nouveau contrat social

Loin de créer seulement plus de sécurité et de certitudes, sciences et technologies  créent au contraire de nouvelles incertitudes -l’usage qui sera fait des connaissances et leur impact- et de nouvelles ignorances – l’interaction de toutes les molécules de synthèse avec l’organisme humain et les écosystèmes.

Y a-t-il une éthique scientifique ou doit on parler de l’application au monde scientifique de l’éthique générale de la société ? Trop souvent, les scientifiques s’attachent à des règles de conduites propres à leur milieu -pas de fraude, pas de plagiat, etc…- mais en réalité il y une éthique commune à la société qu’il faut décliner pour chaque milieu : les scientifiques, les militaires, les journalistes, les cadres d’entreprise, etc..

Quelle est cette éthique du 21ème siècle ? Elle sera centrée sur la responsabilité qui est à la fois : la contrepartie de la liberté car sans liberté pas de responsabilité, seulement des devoirs ; elle est l’autre versant des droits – certains juristes l’appellent même la face cachée des droits – et il n’y a pas de citoyenneté sans équilibre des droits et responsabilités ; elle est le corollaire des interdépendances,  à interdépendances mondiales responsabilités universelles.

Quelques dimensions de cette responsabilité universelle (dimensions décrites dans le projet de Déclaration universelle des responsabilités humaines) : elle est proportionnée au savoir et au pouvoir ; elle est distincte de la notion de faute, la responsabilité résulte des impacts concrets immédiats ou différés, prévisibles ou imprévisibles, indépendamment des intentions qui ont présidé à ces actes ; elle est imprescriptible si les impacts sont eux mêmes très durables, comme c’est le cas du changement climatique résultant de nos modes de vie ; elle est à la fois personnelle et institutionnelle ; nul ne peut arguer de son impuissance pour s’exonérer de sa responsabilité si tous les efforts n’ont pas été faits, notamment à travers l’action collective, pour sortir de l’impuissance.

A quels niveaux s’exerce l’éthique de la responsabilité ?

À trois niveaux :
– celui de l’individu et de son désir de mettre en accord ses actes et ses valeurs, comme dans le cas du droit de dire non et du courage de donner l’alerte ;
– au niveau collectif et les exemples sont là multiples : la protection des lanceurs d’alerte ; des campagnes internationales comme l’a été l’appel de Stockholm sur l’armement nucléaire ; l’élaboration de codes de conduite inspirés de la Déclaration universelle ; des moratoires en cas de danger ; de nouvelles modalités de travail avec la société et de partage des savoirs ; la revendication de contrôle sur les brevets ; l’articulation des pôles de recherche et d’enseignements avec les territoires où ils sont implantés ; l’énoncé des priorités de recherche pour la transition vers des sociétés durables ; la dénonciation des systèmes irresponsables comme les procédures d’autorisation, etc… ;
– au niveau des régulations internationales. Car comme l’a montré Marie Angèle Lhermitte, le progrès des outils de régulation des sciences et techniques se situe au niveau national. Il faut parler à la suite de Mireille Delmas Marty de pathologie du droit international. Tant que ne sera pas adoptée au niveau de l’ONU le pendant de la Déclaration universelle des droits humains sous forme d’une Déclaration universelle des responsabilités humaines, l’impact des découvertes scientifiques, des nouvelles technologies, des nouveaux produits, des modes de consommation sur les autres sociétés et sur la planète ne fera l’objet d’aucune régulation et le système demeurera irresponsable.

Appel au FMSD :
– promouvoir un nouveau contrat social entre la société et les travailleurs du secteur scientifique ;
– développer l’échange d’expérience entre les réseaux du FMSD sur la mise en oeuvre collective du principe de responsabilités
– s’engager au côté des autres types d’acteurs, comme par exemple la Confédération européenne des syndicats pour la promotion de la Déclaration universelle des responsabilités humaines

Disponible en / Available in: Inglés, Francés, Portugués, Brasil

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Compte-rendu de l’atelier “Responsabilités des scientifiques dans un système en crise” (Tunis, 24 mars 2013)

Ce “compte-rendu” a été proposé par Pierre Calame. Qu’il en soit remercié.

L’atelier a montré différentes dimensions individuelles et collectives de l’action de scientifiques soucieux d’assumer leur responsabilité. Essayons un panorama d’ensemble.

On parle parfois de co-responsabilité. La situation actuelle est de co-irresponsabilité. Illsutration : la procédure européenne d’autorisation de mise sur le marché d’OGM. L’irresponsabilité se construit en quatre temps : a) selon les règles européennes, l’entreprise est responsable de l’impact de ses produits, sauf si l’état de la connaissance ne permettait pas de prévoir un impact négatif ; b) les entreprises et les états s’arrangent pour que la connaissance nécessaire (tests sur longue durée) ne soient pas produite ; c) les comités d’experts émettent un avis et à ce titre ne peuvent pas en être tenus pour pénalement responsables ; d) les politiques se disant incompétents se retranchent derrière l’avis des experts. Voilà le type de cercle vicieux qu’il faut briser.

Une mise en perspective historique :
– la seconde guerre mondiale, la fin de l’innocence. L’ampleur des moyens nécessaires à la conduite de recherches exclut la « recherche pure » indépendamment de ses effets économiques, politiques et sociaux. Le nazisme a montré que la science et la technique peuvent être mises au service du mal absolu et le lien « automatique » entre progrès scientifique et progrès humain est définitivement rompu. L’exemple de la bombe atomique montre que la connaissance produite est mise en oeuvre sans le contrôle de ses producteurs, d’où la règle : nul n’est censé ignorer les rapports de force ;
– de 1945 à 1990 ,: un contrat social entre science et société : a) la société apporte des moyens aux chercheurs, pour développer des connaissances fondamentales ; b) ces connaissances débouchent sur des applications techniques qui débouchent sur des nouveaux produits qui créent de l’emploi, qui assurent la cohésion sociale ;
– depuis les années 90 : des doutes sur ce cercle vertueux, a fortiori avec les problèmes écologiques. C’est le cercle vicieux de la fuite en avant dans l’innovation, la concurrence entre nations, la privatisation de la connaissance, les menaces de nos modes de production et de consommation sur la planète. Conclusion : la méfiance s’installe entre la société et les chercheurs. Il faut construire un nouveau contrat social

Loin de créer seulement plus de sécurité et de certitudes, sciences et technologies  créent au contraire de nouvelles incertitudes -l’usage qui sera fait des connaissances et leur impact- et de nouvelles ignorances – l’interaction de toutes les molécules de synthèse avec l’organisme humain et les écosystèmes.

Y a-t-il une éthique scientifique ou doit on parler de l’application au monde scientifique de l’éthique générale de la société ? Trop souvent, les scientifiques s’attachent à des règles de conduites propres à leur milieu -pas de fraude, pas de plagiat, etc…- mais en réalité il y une éthique commune à la société qu’il faut décliner pour chaque milieu : les scientifiques, les militaires, les journalistes, les cadres d’entreprise, etc..

Quelle est cette éthique du 21ème siècle ? Elle sera centrée sur la responsabilité qui est à la fois : la contrepartie de la liberté car sans liberté pas de responsabilité, seulement des devoirs ; elle est l’autre versant des droits – certains juristes l’appellent même la face cachée des droits – et il n’y a pas de citoyenneté sans équilibre des droits et responsabilités ; elle est le corollaire des interdépendances,  à interdépendances mondiales responsabilités universelles.

Quelques dimensions de cette responsabilité universelle (dimensions décrites dans le projet de Déclaration universelle des responsabilités humaines) : elle est proportionnée au savoir et au pouvoir ; elle est distincte de la notion de faute, la responsabilité résulte des impacts concrets immédiats ou différés, prévisibles ou imprévisibles, indépendamment des intentions qui ont présidé à ces actes ; elle est imprescriptible si les impacts sont eux mêmes très durables, comme c’est le cas du changement climatique résultant de nos modes de vie ; elle est à la fois personnelle et institutionnelle ; nul ne peut arguer de son impuissance pour s’exonérer de sa responsabilité si tous les efforts n’ont pas été faits, notamment à travers l’action collective, pour sortir de l’impuissance.

A quels niveaux s’exerce l’éthique de la responsabilité ?

À trois niveaux :
– celui de l’individu et de son désir de mettre en accord ses actes et ses valeurs, comme dans le cas du droit de dire non et du courage de donner l’alerte ;
– au niveau collectif et les exemples sont là multiples : la protection des lanceurs d’alerte ; des campagnes internationales comme l’a été l’appel de Stockholm sur l’armement nucléaire ; l’élaboration de codes de conduite inspirés de la Déclaration universelle ; des moratoires en cas de danger ; de nouvelles modalités de travail avec la société et de partage des savoirs ; la revendication de contrôle sur les brevets ; l’articulation des pôles de recherche et d’enseignements avec les territoires où ils sont implantés ; l’énoncé des priorités de recherche pour la transition vers des sociétés durables ; la dénonciation des systèmes irresponsables comme les procédures d’autorisation, etc… ;
– au niveau des régulations internationales. Car comme l’a montré Marie Angèle Lhermitte, le progrès des outils de régulation des sciences et techniques se situe au niveau national. Il faut parler à la suite de Mireille Delmas Marty de pathologie du droit international. Tant que ne sera pas adoptée au niveau de l’ONU le pendant de la Déclaration universelle des droits humains sous forme d’une Déclaration universelle des responsabilités humaines, l’impact des découvertes scientifiques, des nouvelles technologies, des nouveaux produits, des modes de consommation sur les autres sociétés et sur la planète ne fera l’objet d’aucune régulation et le système demeurera irresponsable.

Appel au FMSD :
– promouvoir un nouveau contrat social entre la société et les travailleurs du secteur scientifique ;
– développer l’échange d’expérience entre les réseaux du FMSD sur la mise en oeuvre collective du principe de responsabilités
– s’engager au côté des autres types d’acteurs, comme par exemple la Confédération européenne des syndicats pour la promotion de la Déclaration universelle des responsabilités humaines

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